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15 juin 2013 6 15 /06 /juin /2013 09:47

Troisième et dernière partie de la triologie consacré au Théâtre Nô

Le théâtre Nô - une introduction

Le Théâtre Nô - Zeami

 

Atsumori

 

La pièce Atsumori est un shuramono, un nō d'apparition où le personnage principale est un guerrier mort au combat et prisonnier de la Voie des Ashura. Cette Voie de réincarnation, où l'esprit reste prisonnier de ses regrets, rancunes et douleurs, était considérée comme une sorte d'“enfer” des guerriers.

Dans ce genre de pièces, la confrontation entre shite et waki a lieu sur deux plan différents : celui du passé, quand le protagoniste a perdu la vie, et celui présent de la conscience, où les personnages doivent se réconcilier et venir au bout de leur souffrance pour atteindre enfin la délivrance.

 

Le répertoire classique compte au moins 16 pièces de ce type.

 

Atsumori présente la structure typique du mugen-nō, c'est à dire deux actes séparé par un kyōgen ou entracte. L'épisode dont il est question est un anecdote de la Guerre de Genpei, plus précisément c'est un des événements liés à la célèbre bataille de Ichi-no-tani.

 

La Bataille de Ichi-no-tani, mars 1184, est un des épisodes marquants de la guerre Taira et Minamoto. Les Taira, après plusieurs revers et la perte de Kyōto, s'étaient retirés dans leur forteresse sur la baie de Suma. L'arrière de la forteresse était protégé par une suite de trois vallons (San-no-tani, Ni-no-tani, Ichi-no-tani) aux ravins escarpés, jugés infranchissables pour des chevaliers armés. De l'autre coté, on trouvait des forets et la fleuve Ikuta. Enfin, la mer était contrôlé par la flotte Taira, qui tanguait dans la baie. De plus, le chef de clan de l'époque, Taira no Munemori (1147-1185), fils du Religieux Ministre Taira no Kiyomori (1118-1181), avait placé, semble-t-il, 7000 hommes pour garder les avant-postes de Harima et Mikusa.

 

Cette force fut rapidement vaincue par Minamoto no Yoshitsune (1159-1189), qui poursuivit jusqu'aux ravins de Ichi-no-tani avec un groupe choisi de combattants, alors que le reste de l'armé conduisait une attaque de diversion contre l'entrée principale de la forteresse. Contre toute attente, Yoshitsune arriva à descendre la pente escarpé et attaquer les Taira. Son succès fut immédiat.

 

En déroute, l'armée des Taira se retira dans le désordre vers les navires. Parmi les morts, il y eut le dernier fils du conseiller maître des bâtiments impériaux Tsunemori, Taira no Atsumori (1168-1184). Celui-ci, âgé de seize ans, encore sans fonction (il est appelé mukan tayu, titre donné aux jeunes gens qui par naissance avaient droit au cinquième rang de court mais qui ne l'avaient pas encore reçu), fut tué sur la plage par Kumagai no Jirō Naozane (1141-1208) de la province de Musashi.

 

Kumagai était un guerrier vassal du clan Taira avant de changer de coté. Il abandonna les Minamoto aussi, suite à un différend sur l'attribution de terre en récompense. Il devint disciple de Hōnen (fondateur de la Jōdō-shū, courant amidiste du Bouddhisme) et il se fit moine avec le nom de Rensei. Historiquement, il se rasa le crane en 1192 et se retira au Kurodani-dera.

 

La mort tragique du jeune guerrier flûtiste devint tout suite une histoire très populaire et source de nombreuses œuvres. Elle apparaît dans le livre IX du Dit des Heiké, qui, relatant trois autres batailles célèbres de la guerre, inspira au moins huit pièces du répertoire classique.

 

Ando-Hiroshige-Atsumori.jpg

Ando Hiroshige - Kumagai Noazane tuant Taira-no-Atsumori (~1840)

 

Dans ce texte, Kumagai aperçoit Atsumori alors qu'il a poussé son cheval dans l'eau dans le tentative désespéré de rejoindre les bateaux. L'ayant pris pour un général, il le rappelle. Relevant le défi, le jeune homme rebrousse le chemin, mais est rapidement vaincu. Au moment de le tuer, Kumagai se rends compte de sa jeunesse. Atsumori a le même âge que le fils de Kumagai, blessé peu avant dans la même journée.

 

Sachant la douleur d'un parent lorsque son enfant est touché, Kumagai est pris de pitié pour le père de Atsumori aussi bien que pour le jeune homme. Il est sur le point de le laisser partir, mais, à l'arrivée d'une autre bande alliée aux Minamoto, il se rends compte que le garçon n'a désormais aucune chance d'échapper à ses ennemis. Avant de le tuer, il cherche à le consoler en lui assurant qu'il priera pour son salut. Atsumori lui-même le presse à agir avant que quelqu'un d'autre ne le fasse. Kumagai lui tranche à contrecœur la tête, les yeux pleins de larmes.

 

L'épisode du Dit des Heiké est assez succinct, mais dans la recension de Nagato, livre XVI, il est ajouté qu'on trouva sur le cadavre de Atsumori une flûte et un poème naga-uta. Kumagai reconnaît alors en lui le flûtiste qui avait joué le soir précédent : les notes pures de l'instrument étaient arrivés jusqu'au campement des Minamoto, près du fleuve Ikuta. Dans la poésie, après une célébration des saisons, Atsumori avait écrit que son corps aurait reposé à Ichi-no-tani. Il avait, parait-il, pressenti sa mort.

 

Le Genpei seisuiki, autre source d'inspiration du drame de Zeami, accorde plus de temps à cet épisode. Dans cette version, Kumgai est touché non seulement par le jeune âge de sa victime, mais aussi par sa grande beauté. Un symbole de l'impermanence fragile de ce monde de poussière ? Dans cette version aussi, Kumagai est tenté de le laisser partir, mais il se rends compte qu'il ne peut pas entraver par intérêt personnel une guerre commune. Ayant assuré au jeune homme qu'il priera pour son salut, il lui tranche la tête.

 

noh_mask_of_atsumori_edo_period.jpg Masque d'Atsumori (période Edo)

 

Le drame de Zeami a lieu huit ans après la bataille. Kumagai, maintenant Rensei, hanté par le sens de culpabilité, retourne sur le lieux des faits afin de prier pour l'âme de Atsumori.

 

Rensei entre en scène en costume de moine et il procède au nanori. Il lève donc ses mains face au visage (dappai, geste qui clôt le nanori du waki).

 

Suit le michiyuki, où Rensei retrace son périple et explique le lieu et la situation. Il entend ensuite le son d'une flûte (qui annonce l'arrivé du maejite Atsumori) et il va s’asseoir près du wakihashira.

 

Deux jeunes faucheurs (maejite et tsure) s'approchent. Un d'eux, le maejite, déplore sa misère et sa solitude, étant contraint à demeurer près de cette plage désolée. On peut déjà comprendre qu'il ne s'agit pas de la lamentation d'un être humain, mais d'un esprit égarée.

 

 

問はばこそ 独り侘ぶとも答へまし

Si on me le demande, je répondrai que, seul, je me morfonds dans le regret.

須磨の浦 藻塩誰とも知られなば

藻塩誰とも知られなば

Sur la plage de Suma, les algues salées, si quelqu'un savait,

les algues salées, si quelqu'un savait [mon nom],

我にも友のあるべきに

J'aurais sans doutes des compagnons,

余りになれば侘人の

Mais réduit à cette misère,

親しきだにも疎くして

Même mes proches se sont éloignés de moi.

住めばとばかり思ふにぞ

Ma seule pensée, c'est qu'ici je vais demeurer,

憂きに任せて過ごすなり

憂きに任せて過ごすなり

Et je vis laissé à mon malheur,

Et je vis laissé à mon malheur.

 

 

Il s'en suite un dialogue entre Rensei et les deux faucheurs, où on fait un éloge de la flûte, l'instrument de prédilection de Atsumori. Enfin, le tsure rebrousse le chemin et le maejite pose son bambou empli d'herbes, prends son éventail et retourne sur la scène. Dans le dialogue avec le moine qui suit, on entend la voix du fantôme par la bouche du faucheur. À la demande de Rensei sur pourquoi il est revenu au lieu de rentrer avec l'autre faucheur, il répond:

 

何の故とか夕波の 声を力に来りたり 十念授けおはしませ

Pourquoi demandez-vous, parmi les vagues du soir ? Je suis venu écouter une voix qui réconforte, veuillez prononcer les dix prières.

 

 

Les dix prières dont il est question sont les invocations au Bouddha Amida.

Le shite dit être un parent de Atsumori et prie Amida avec le waki avant de partir. C'est la fin du premier acte.

 

S'ensuit un entracte avec un dialogue entre le waki et le ai (un habitant du lieu), où on raconte l'histoire de la mort de Atsumori et Rensei réaffirme sa décision de prier pour la délivrance du jeune guerrier. Après avoir résume l'histoire et la situation du drame, le ai quitte la scène. On a l'impression que le but de cet entracte est de résumer l'histoire et reprendre les rênes de la narration.

 

Au début du deuxième acte, alors que Rensei s'apprête à reprendre ses prières, Atsumori réapparaît sous sa vrai forme. L'acteur porte un masque de jeune homme de seize ans (jūroku), les cheveux détachés, la tenue de combat (avec le bras droit dégagé pour que la manche n'entrave pas la corde de l'arc) et un éventail à la man.

 

 

Le fantôme de Atsumori

 

 

淡路島 通ふ千鳥の声

聞けば ねざめも須磨の

関守は誰そ

Qui, comme les gardiens de la Barrière de Suma, est éveillé d'innombrables nuits par les cris des pluviers qui vont et viennent de l'Ile de Awaji1 ?

いかに蓮生 敦盛こそ参りて候

Alors, Rensei! Atsumori est venu te voir!

 

Rensei croit s'être endormi, mais le fantôme est bien réel.

 

何しに夢にてあるべきぞ

Pourquoi serais-je un rêve?

現の因果を晴さん為に

これまで現れ来りたり

Je me suis manifesté ici

Pour pouvoir purifier le karma de cette vie2.

 

Aussitôt, Rensei commence à prier pour le salut de Atsumori. La prière apaise l'esprit, qui unit sa voix à celle du moine.

 

Shite: 深き罪をも弔ひ浮かめ

Shite: Fut-il profond, le pêché est réparé et enlevé

 

 

 

 

Waki: 身は成仏の得脱の縁

Waki: Il est destin que cet être soit délivré et devienne Bouddha

Shite: これ又他生の功力なれば

Shite: Grâce aux mérites d'une vie précédente

 

 

 

 

Waki: 日頃は敵

Waki: Un jour nous fûmes ennemis

Shite: 今は又

Shite: Mais maintenant

 

 

 

 

Waki: 真に法の

Waki: Par la Foi en la Loi

Shite: 友なりけり

Shite: Nous sommes devenus amis.

 

 

 

 

Le chœur rappelle comme les Taira, au sommet de leur gloire, ont oublié la vérité inéluctable, c'est à dire que tout chose est éphémère. Ils ont été superbes et leur sort est pitoyable.

 

On raconte la chute du clan jadis puissant, sa fuite à Suma, sa disgrâce. On rappelle aussi le soir précèdent l'attaque final mené par Minamoto no Yoshitsune. Le père de Atsumori avait tenu une fête, pendant laquelle le jeune guerrier avait joué sa flûte, dont le son été arrivé jusqu'aux alliés des Minamoto, parmi lesquelles se trouvait Rensei.

 

En même temps, le shite exécute une danse (kuse-mai). Le fantôme semble revivre le dernier soir de sa vie.

 

On raconte ensuite la fuite des Taira et la mort de Atsumori. Le karma des vies précédentes a provoqué sa rencontre tragique avec Kumagai, ce même karma qui les réunit huit ans après pour qu'ils puissent se réconcilier. Devant son assassin, le shite tire son sabre, mais le waki, par ses prières, apaise l'esprit et le libère de son ressentiment et de ses souffrances.

 

Ainsi, à travers la foi, Atsumori et Rensei, qui étaient emprisonnés chacun dans leur propre douleur, arrivent à se réconcilier et se délivrer. Le chœur nous dit qu'il renaîtront ensemble dans le Paradis de Amida.

 

敵はこれぞと討たんとするに 仇をば恩にて 法事の念仏して弔はるれば 終には共 に生まるべき

Au lieu de vouloir le mal de son ennemi, il a récité le nenbutsu pour son bien, et pour cela nous renaîtront sans doute ensembles,

同じ蓮の蓮生法師 敵にてはなかりけり

Sur la meme fleur de lotus [dans le Paradis de Amida] [Atsumori] et le moine Rensei, non plus ennemis.

跡弔ひて賜び給へ

跡とむらいて賜び給へ

Veuillez prier pour moi,

Veuillez prier pour moi.

 

 

Le drame se termine dans une catharsis empreinte d'amidisme. Beauté, jeunesse ou gloire ne sont que des illusions, elles ne peuvent provoquer que de la souffrance. L'existence des deux personnages, Atsumori et Kumagai, a été marquée par un acte de violence. Victime et bourreau sont, chacun à sa façon, condamnés à un enfer similaire.

 

Cependant, la grâce d'Amida renverse la situation. Ayant entrepris le bon chemin de la foi, Kumagai est capable de revenir sur les faits et, en portant secours à l'homme qu'il a tué, il est lui-même libéré.

 

Le bodhisattva Amida a fait veux de sauver tous les êtres. Ainsi, la foi dans sa miséricorde est l'élément de catharsis de ce drame. Le karma, aussi mauvais soit-il, peut, grâce à celle-ci, être résolu. De plus, la miséricorde d'Amida peut prendre les formes les plus inattendues. Ainsi, on pourrait dire que, s'il n'avait pas été marqué par cet épisode tragique, Kumagai n'aurait probablement pas entrepris le chemin de la délivrance. En ayant foi en Amida, la disgrâce plus terrible peut ainsi être tournée en moyen de salut.

 

En lisant ce drame, on ne peut qu'être touchés par le lien tragique que ces deux personnages partagent. La beauté et le contenu des échanges en font une histoire de rédemption et délivrance universelle.

 

 

 


1On fait référence ici au poème de Minamoto no Kanemasa (?-1112):

淡路島

かよふ千鳥の

鳴く声に

幾夜ねざめぬ

須磨の関守

Les cris des pluviers

qui vont et viennent

de l'Ile de Awaji

on réveillé d'innombrables nuits

les gardiens de la Barrière de Suma.

 

2Dans la transcription en japonais moderne de Atsumori, la phrase est développée ainsi: "à cause des pêchés commis dans ce monde, je souffre même après la morte. C'est pour purifier ceux-ci que je me suis manifesté".

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31 mai 2013 5 31 /05 /mai /2013 09:46

Deuxième volet d'une trilogie dédié au Théâtre Nô

Le théâtre Nô - une introduction

 

 

Zeami


zeami_1L.jpg

 

L'auteur du drame Atsumori est Zeami (1363-1343), connu aussi sous d'autre noms de plume, comme Zeami-dabutsu, Zea ou Kanzei. Son père, Kan.ami (1333-1384) venait d'une famille de prêtres shintô de la région de Nara et dirigeait une troupe de dengaku nommée Kanzei-za. Kan.ami, le premier à façonner le sarugaku no nō, était un homme à l'esprit ouvert, capable d'intégrer dans son art des aspects appartenant à d'autres genres. Il rénova et modifia certains cotés du dengaku et sarugaku, tels le monomane (pantomimes comiques), qu'il arriva a tempérer et réformer.

 

Il s'appropria aussi le concept de yūgen, traduit le plus souvent par « charme subtil », qui deviendra l'essence esthétique du nō et qui sera par la suite développé par son fils. Le terme était déjà utilisé vers la fin de l'époque de Heian dans le renga, pour indiquer une beauté dépourvue de vulgarité. La poésie du XIII employait ce terme pour indiquer la grâce. On pourrait aussi le traduire par beauté obscure, difficile à saisir. En ce qui concerne les arts de la scène, on trouve ce terme en relation au sarugaku de la province de Omi, qui le prisait par-dessous tout (à la différence du sarugaku de Yamato qui, tout en partageant le concept de yūgen, donnait plus d’importance aux événements et rebondissements de la pièce).

 

Dans la poétique de Zeami, le yūgen est intégré au nō et en devient une sorte de canon. C'est l'élément portant de l'art, celui qui entraîne le spectateur. Bien que impossible à définir de façon précise, le yūgen pour Zeami devait être rare (mezurashi) et saisissant (omoshiroshi).

 

En 1347, Kan.ami et sa troupe ont le privilège de s'exhiber devant le jeune shōgun Ashikaga no Yoshimitsu. La pièce choisie pour l'occasion est Okina, dont le personnage principale (le vieillard) fut interprété par Kan.ami lui-même. Le shōgun fut fasciné par ce nouvel art et par la performance de Zeami, âgé alors de onze ans. Il en fit son protégé et prit la troupe du père sous sa protection.

 

C'est depuis cette représentation restée célèbre que ce genre de théâtre a pris le nom de nō. A la différence des troupes d'autre formes théâtrales, liées aux sanctuaires et employé lors de célébrations religieuses, celle de Kan.ami réussit à s'affranchir de ce coté religieux.

 

Zeami put assister son père dans le développement du genre et jouir d'amitiés très stimulantes, comme celle qui le lia au poète Nijō Yoshimoto, son maître en poésie. Encore jeune, il dut cependant endurer le deuil de ses deux mentors. Son père le quitta en 1384 et Nijō mourut quatre ans après. Dans la même période, se relation avec le shōgun s'effrite, sans pour autant s'arrêter.

 

En 1395 Yoshimitsu abdiqua en faveur de son fils Yoshimochi (1386-1428) et se fit moine, mais il resta une figure de relief au gouvernement jusqu'en 1408, année de sa mort. Zeami perdit ainsi son protecteur le plus puissant, car Yoshimochi lui préférait un autre artiste. Cependant, ces années s'avèrent très fertiles. Entre 1413 et 1434, Zeami écrit treize des traités qui lui sont attribués, et deux livres.

 

En 1422 Zeami se fit moine suivant l'école zen Sōtō-shū et laisse la troupe à son fils Kanze Motomasa. En 1428 Yoshimochi mourut et fut succédé par son frère Yoshinori (1394-1341). Ce dernier était passionné de sarugaku et détestait ouvertement Zeami et Motomasa. Motomasa mourut en 1432 et, pour des raisons qui nous sont inconnues, Zeami refusa de nommer son autre enfant, On.ami, à la tête de la troupe. En 1434, Zeami fut exilé sur l'ile de Sadō pour des raison inconnues. Il fut pardonné peu d'années avant sa mort. Il termina sa vie auprès de son beau-fils, Konparu Zenchiku (1405-1468), auquel il laissa la direction de la troupe.

 

Zeami nous laisse dix-neuf essais sur son art, dont le plus connu est le Fushikaden (De la transmission de la fleur de l'interprétation), dans lequel on peut lire l'enseignement de Kan.ami enrichi par l'expérience de Zeami. On lui attribue aussi 90 pièces, dont 21 seulement sont clairement de sa main.

 

L'œuvre de Zeami est fortement empreinte de Bouddhisme Amidiste. Le but de son art, comme dit La lande des mortifications, était d'attirer le spectateur, apaiserson cœur et le rassurer sur la vie future. Dans une optique typiquement amidiste, tout passe : la joie aussi bien que la douleur, le bien et le mal. Dans ses pièces il met en scène la beauté éphémère ou le déchaînement des souffrances humaines, car si le théâtre est fait pour délecter le spectateur, le but finale est la délivrance des illusions, l'apaisement des passions.

 

Dans La tradition secrète du nō (traduit par René Sieffert), Zeami raconte les origines mythiques du sarugaku no nō, un passage montre bien le rôle et la finalité que cet art se donnait :

 

« [Shōtoku-taishi] à un moment où l'Empire connaissait quelques troubles, se référant aux précédentes fastes de l'age des dieux et de la Patrie du Bouddha, commanda 66 mimes à ce [Hata no] Kōkatsu1 ».


Kōkatsu était un légendaire sculpteur de masques. On peut constater ici la vocation ultime de l'art : modérer le désordre. Le nō avait, pour Zeami, une grande dimension rituelle. Cela rendait possible de saisir l'infiniment petit aussi bien que l'immense.

 

Dans la pièce que nous allons analyser (dans le prochaine article), la beauté passagère, les plaisirs inconstants, la souffrance des morts et des survivants sont présents, aussi bien que la foi dans le Vœux miséricordieux de Amida, source de répit et secours pour tous les êtres.

 

 


1Cité dans ZEAMI et d'autres, La lande des mortifications, 25 pièces de nō, traduit par GODEL Armen et KANO Koichi, Éditions Gallimard, 1994, Paris, p. 1-25

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20 mai 2013 1 20 /05 /mai /2013 21:07

theatre-no.jpg

 

Le nō, nom abrégé de sarugaku no nō, est un genre théâtrale qui se développe à partir du XIVème siècle. Il s'agit de danses, déclamations et chants accompagnés d'instruments et gestes, basés sur un texte poétiqueet des dialogues. Le drame prends place sur une scène rappelant l'architecture des sanctuairesau décor très minimalistes. Les acteurs sont accompagnés par un orchestre de flûtes et tambours ainsi que par un chœur. Selon le rôle interprété et le type de drame joué, les acteurs s’exécutentà visage découvert où en portant demasques représentant chacun un type de personnage bien précis. Le masque couvrele visage de l'artiste sans l’emboîter.


Le nō plonge ses racines dans les genres antérieurs, comme le sarugaku (danses et musiques importés du Continent), le dengaku (originairement des danses populaires pour la récolte) ou le kagura (danses sacrés shintoïstes).

 

Ce genre de théâtre fut particulièrement apprécié par les élites guerrières qui, à cette période, gouvernaient le Japon : des grands personnages comme Ashikaga no Yoshimitsu (1358-1408), Oda no Nobunaga (1534-1582) ou Toyotomi no Hideyoshi (1536-1598) en étaient de grands passionnés.

 

Comme dans d'autres formes théâtrales, les troupes de nō étaient généralement liées à un sanctuaire shintô (dont l'architecture est reprise pour créer le décor de scène).

 

Le nō est caractérisée par un rythme lent, des mouvements souvent statiques et très codifiés. Il s'agit d'un art fortement empreint de Bouddhisme, mais aussi de Confucianisme, et dont la musique doit refléter l'ordre et l'équilibre. Tout est très codifié et encadré. Il ne s'agit pas d'ébahir le spectateur, mais de le délecter et d'aboutir à une catharsis à travers une progression régulière.

 

Le chœur, qui chante à l'unisson, intervient quand le personnage mime une action, pour commenter un passage dramatique, ou dans la description des paysages.

 

L'orchestre, comme le chœur, se trouve sur scène. Elle compte quatre instruments, une flute : le nōkan, ou fue, et trois types de tambours : le kotsuzumi, le ōtsuzumi et le taiko.

 

 

Les rôles des personnages sont aussi codifiés de façon très précise:

 

Shite, il est le personnage principale de l'histoire.

Maejite, dans les nō de rêve et d'apparition, il s'agit du shite sous sa forme réincarnée.

Nochijite, dans les nō de rêve et d'apparition, c'est le shite quand il apparaît sous sa vrai forme.

Tsure, l'éventuel accompagnateur du shite.

Waki, l' « hôte », le premier personnage à entrer sur scène. Il ne porte pas de masque.

Waki no tsure, attendant éventuel du waki.

Ai, personnage qui intervient dans l'entracte.

Hitamen, personnage interprété par un acteur à visage découvert.

 

 

On distingues principalement deux genres de nō :

 

Le mugen-nō : nō d'apparition, où le shite ce n'est pas (ou ce n'est plus) un être humain. En général, le shite entre une première fois sur scène comme maejite, puis, dans un second temps, il reviens comme nochijite.

Le genzai-nō : nō du monde réel, où les personnages sont des êtres humains vivant. Dans les drames de cette catégorie, les acteurs sont généralement à visage découvert, faite exception pour les personnages féminins.

 

 

On peut ensuite diviser le répertoire en 5 catégories :

 

Waki-nō ou Kamimono : nō sur des dieux. Le shite est souvent un dieux où un messager divin. On peut citer en exemple le drame Takasago.

Shuramono ou Otokomono : nō de fantômes masculins. Les histoires de cette catégorie sont souvent tirés des gunkimono (récits guerriers, proches des chansons de gestes) telles le Dit des Heiké. Le shite est souvent un guerrier mort (c'est le cas du drame Atsumori, que nous allons analyser plus tard).

Katsuramono ou Onnamono : nō où le personnage principale est une héroïne. La source d'inspiration de ces drames sont les grands romans ou recueils de contes, tels les Contes d'Ise (comme pour le drame Matsukaze), ou le Roman de Genji (comme pour le drame Izutsu).

Zatsu-nō : nō d'argument variable, souvent liés au monde réel. Un exemple en est le drame Kinuta.

Kichikumono ou Onimono : nō au tempo très rapide, ayant comme personnages principales des démons. On peut citer en exemple le nō Sakkyō.

 

 

Ces différentes catégories se distinguent par un tempo progressivement plus rapide. Dans la journée étaient représentées plusieurs pièces, suivant un tempo croissant. Habitude qui s'affirma à l'époque d'Edo, où l'on représentait quatre à six pièces sur rythme croissant : 1 kamimono, 1 shuramono, 1 katsuramono, 1 onimono.

 

 

 

 

Scène de nō

 

Une pièce est divisible en 5 parties (cinq dan) qui correspondent à l'idéale de la progression jō-ha-kyū (début, développement, résolution). Dans le premier dan, le waki entre en scène et expose le cadre de l'action, ensuite il se présente (nanori). Il correspond au . Dans le deuxième, troisième et quatrième dan, on a le développement du drame, le ha : le shite arrive, l'histoire est racontée avec plus de détail, on a un échange sous forme de dialogue avec le waki (mondō). C'est le cœur du drame. Le shite exécute une danse (kuse-mai) et sort de scène. Enfin, dans la cinquième partie, correspondante au kyū, la plus rapide, le shite rentre à nouveau en scène. On a une danse et un chant accompagné par le chœur, puis la sortie du shite et la fin du drame.

 

 

On distingue deux types de registre dans la déclamation de l'acteur :

 

kotoba : le registre parlé. Il n'a pas de rythme ou mélodie fixe, mais un modèle d'inflexion;

fushi : le registre chanté, divisé en deux catégories: hyōshiawazu, chant non rythmé, où il n'y a pas de lien spécifique entre les syllabes chantées et le rythme de la musique; hyōshiau, chant rythmé, où il y a correspondance entre musique et syllabes prononcées.

 

 

Le chant lui-même a deux styles:

 

yowagin : « chant doux », plus ancien, au vibrato lent et régulier, utilisé dans les scènes lyriques;

tsuyogin : « chant fort », développé à la période d'Edo, au vibrato irrégulier et à l'ampleur croissante, utilisé pour les scènes plus mouvementées.

 

Aujourd'hui le répertoire compte environs 230 pièces et 5 écoles: Kanze, Hōshō, Kongō, Kita et Konparu. Cet art de la scène est protégée par deux dieux : Shokushin, Dieu de la Station (parfois assimilé au personnage de Okina, de la pièce homonyme) et Matarajin (ou Madarajin), dieu de la Pratique (à l'origine de la Pratique Bouddhique, car il est un dieu vénéré par la Tendai).

 

 

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